Opinions - 08.11.2019

La stabilité de la Méditerranée passe aussi par la promotion de la coopération navale et la culture de la paix

La stabilité de la Méditerranée passe aussi par la promotion de la coopération navale etla culture de la paix

Au cours de l’année 2019, plusieurs évènements ont eu des répercussions négatives sur la sécurité maritime dans l’une des plus importantes voies de navigation du monde, celle par laquelle transitent plus du quart du trafic maritime international en provenance de l’Asie et du golfe arabo-persique, via la Méditerranée, à destination des pays occidentaux.

Aux mois de mai etde juin derniers 2 pétroliers et 2 tankers(1) en transit dans la mer d’Oman ont été ciblés par des attaques non revendiquées, provoquant une montée de 3% dans les cours de pétrole. La plupart des pays occidentaux ont soupçonné l’Iran comme acteur derrière ces actions.

En outre au début de juillet, les autorités de Gibraltar ont immobilisé pendant plus d’un mois un pétrolier iranien(2), soupçonné de livrer du brut à la Syrie, provoquant ainsi une crise entre Londres et Téhéran.

Ces évènements laissent conclure que la liberté de navigation en Méditerranée est vulnérable aux bouleversements géopolitiques qui se produisent en particulier au Moyen-Orient. Certains observateurs confirment que la stabilité de la Méditerranée est incertaine à cause de la complexité de son contexte géopolitique actuel caractérisé par:

  • une forte présence de forces navales des pays non méditerranéens; les USA, la Russie,la Chine et les pays de l’OTAN(3).
  • la découverte d’importants gisements de gaz dans le bassin oriental qui ravivent les tensions entre les pays à cause de la délimitation des frontières maritimes entre eux,
  • une course aux armements navals des pays riverains.

Cette situation géopolitique et cet excès de flottes navales sont-ilsdes facteurs d’instabilité ou de paix pour cette région?

L’importance de la stabilité de la Méditerranée pour les économies des pays riverains, qui dépendent à 90% des échanges maritimes, a fait que depuis plus d’un quart de siècle l’idée de coopération politique, économique et sécuritaire pour faire face aux différentes menaces a pris forme et au nord de la Méditerranée, comme au sud.

C’est dans ce cadre que les forces navales de certains pays méditerranéens coopèrent conjointement. «Un navire de guerre est le meilleur ambassadeur», disait Oliver Cramwell(4).

Actuellement les observateurs considèrent que la coopération navale est satisfaisante dans le bassin occidental grâce au volet défense du «Dialogue 5+5(5)» ,tandis qu’elle est pratiquement inexistante dans le bassin oriental.

Les exercices de surveillance et de sécurité maritimes réalisés régulièrement par les marines des pays du «Dialogue 5+5» ont fait de ce programme un facteur de rapprochement efficace même entre les marinesdes pays qui ont des différends sur certains dossiers, comme le cas de l’Algérie et du Maroc en désaccord sur la question du Sahara occidental.

Ainsi ce programme mérite d’être élargi et ouvert à d’autres pays du bassin oriental, car la liberté du transit maritime en Méditerranée est indivisible, et exige la coopération et la stabilité dans les 2 bassins à la fois. Il convient alors d’identifier tout d’abord les menaces à la liberté de transit maritime, ensuite de dresser un panorama des flottes navalesopérant en Méditerranée avant de proposer une analyse des niveaux de coopération entre elles.

1 - Étude des menaces à la liberté de transit maritime

La Méditerranée est une voie maritime à plusieurs verrous et vulnérable aux pollutions

La route maritime qui provient de l’océan Indien et du golfe arabo-persique, via la Méditerranée, ensuite vers l’Atlantique passe par 3 verrous facilement contrôlables(6); le canal de Suez, le canal de Sicile et le détroit de Gibraltar.

En outre, en cas de pollution de grande envergure son impact serait désastreux sur l’environnement et l’économie des pays puisqu’il s’agit d’une mer pratiquement fermée.

La Méditerranée est menacée par le terrorisme et n’est pas à l’abri de la piraterie:

Avec ses 3 grands foyers Djihadistes; la Libye, la péninsule du Sinaï et la Syrie; la Méditerranée est la région la plus menacée du monde par le terrorisme.
En outre depuis 2011, la Libye est encore un pays incertain et incapable de contrôler ses côtes, il n’est pas donc écarté de voir émerger dans l’avenir une activité de piraterie ayant comme base le territoire libyen à l’instar de ce qui s’est passé en Somalie.

Les gisements énergétiques offshore source de rivalités:

A cause des gisements énergétiques découverts dans le bassin oriental de la Méditerranée depuis plus une dizaine d’années, la délimitation des frontières maritimes est devenue un enjeu entre les pays limitrophes.

C’est principalement le cas du différend entre le Liban et Israël. Cette dernière craint des attaques contre ses installations offshores, puisque le Hezbollah a déjà déclaré être prêt à livrer «la guerre du gaz(7)».

2 - Panorama des forces navales en présence

Une marine c’est un atout principal pour la liberté de la mer:

La mission d’une marine de guerre d’un Etat s’articule en 2 types d’actions principales:

  • s’opposer à toute action hostile au pays,
  • l’accomplissement de l’Action de l’Etat en Mer(AEM)(8); mission dans le cadre de laquelle toute marine est appelée à s’opposer à toute activité illicite qui touche à la sécurité maritime ou qui entrave la liberté de navigation (terrorisme, piraterie,…).

Les forces navales qui opèrent en Méditerranée actuellement sont de 3 catégories :

  • celles des pays méditerranéens,
  • celles qui appartiennent à des pays non méditerranéens,
  • des formations multinationales.

Les moyens des marines des pays méditerranéens:

Cette étude ne présente que les marines disposant d’un potentiel significatif:

L’analyse des moyens de ces marines montre l’existence d’une fracture entre le nord et le sud; le nord dispose de plus de moyens que le sud. Les conséquences de cette fracture sont:

  • Elle alimente la "crainte", la "méfiance" et la course aux armements.
  • Elle entrave d’instaurer une coopération équilibrée, harmonieuse et interopérable.
  • Il y a aussi la difficulté pour les marines du sud d’assurer une présence permanente en mer.

Les forces navales des pays non méditerranéens:

Avec le retour de la marine Russe en 2012 et l’arrivée récente des navires Chinois, la Méditerranée a cessé d’être un bassin occidental et elle est en voie de se transformer en un théâtre d’une nouvelle guerre froide entre les grandes puissances.

Le retour de la Russie en Méditerranée:

La Russie par sa présence navale permanente en Méditerranée depuis 2012 cherche à améliorer sa position comme acteur géopolitique, économique et militaire au Moyen-Orient et en Afrique.

Lachine:

Dans le cadre de son projet relatif aux nouvelles routes de la soie la Chine s’est investiesur tout le pourtour méditerranéen de Port Saïd, à Naples, en passant par le Pirée.

La dernière activité de la marine chinoise en Méditerranée est très récente; son exercice avec la marine Egyptienne en Août 2019.

Les USA restent en Méditerranée malgré le «basculement Asiatique»:

Malgré qu’en 2011, sur le plans stratégique les USA ont placé la zone asiatique avant la Méditerranée(9), Washington ne s’est pas désintéressé de la Méditerranée pour plusieurs objectifs stratégiques dont la liberté de navigation qui est l’une des missions de sa VIème flotte.

Les formations navales multinationales:

Il existe des formations navales composées de navires appartenant principalement à des pays Européens et des pays de l’Amérique du nord qui opèrent en Méditerranée:

  • EUNAVFOR MED (opération Sophia), créée par l’UE en 2015.
  • L’EUROMARFOR, créée par des pays européens en 1995.
  • ACTIVE ENDEAVOUR – SEA GUARDIAN, créée par l’OTAN en 2001.

3 - Evaluation de la coopération navale entre les marines qui opèrent en Méditerranée:

Aujourd’hui l’apport des forces navales est aussi apprécié dans leurs capacités à opérer dans un cadre multinational. La meilleure illustration de cette coopération est la lutte dans le golfe d’Aden et l’océan Indien contre les pirates somaliens menée par plusieurs pays.(10)

Le tableau suivant montre le niveau de coopération actuel pour chacune des marines des pays riverains de la Méditerranée:

Marine de Niveau de coopération
France -Le plus élevé en bilatéral et en multinational.
-Très active dans le cadre du « dialogue 5+5 ».
L’Espagne -Coopère dans le cadre du « dialogue 5+5 ».
-Limité par ailleurs à cause des difficultés budgétaires.
Italie -Coopère dans le cadre du « dialogue 5+5 ».
-Limité par ailleurs à cause de ses missions de garde-côtes.
Turquie -Coopération élevé surtout avec l’OTAN.
Maroc -Coopère dans le cadre du « dialogue 5+5 ».
-Coopération élevée avec les marines Européennes.
Algérie -Coopère dans le cadre du « dialogue 5+5 ».
Egypte -Coopère avec les marines occidentales, Russe et celle de la Chine.
Israël -Coopère avec les marines US et Européennes.

Les principales conclusions qu’on peut tirer de la coopération entre les marines méditerranéennes sont les suivantes:

  • La coopération Nord-Nord (entre les marines de la rive nord): est d’un haut niveau.
  • La coopération Sud-Sud (entre les pays de la rive sud): faible
  • La coopération Nord-Sud (entre les 2 rives): est élevée dans le bassin occidental grâce au «Dialogue 5+5». Elle est aussi élevée en bilatéral (pays à pays).
  • Dans le bassin oriental, pratiquement faible et sans programme régional de coopération navale.

En ce qui concerne les forces navales non méditerranéennes, il n’existe aucune coopération entre les USA, la Russie et la Chine.

Pour conclure

La Méditerranée est une mer par laquelle transitent plus de 90% des échanges commerciaux de ses pays riverains et aux environs de 65% des besoins en hydrocarbures de l’occident.

Ces facteurs font que la coopération navale se présente comme un choix inévitable, c’est l’unique option en face de tous les acteurs pour lutter contre les menaces à la sécurité maritime et la liberté de navigation et faire de cette région un espace de paix où chacun trouve son intérêt.

La coopération réussie entre les marines des pays du «Dialogue 5+5» est un modèle à promouvoir davantage et à ouvrir à d’autres acteurs méditerranéens, particulièrement les pays du bassin oriental.

Seul le dialogue et la coopération permettent d’éviter les dérives belliqueuses des Etats en Méditerranée, une mer qui demeure incertaineet dont l’avenir reste ouvert à tous les scénarios si rien n’est fait pour construire le scénario souhaitable par tous; la Méditerranée un havre de paix.

Pour aboutir à ce scénario dans les années à venir, les Méditerranéens doivent opter pour une attitude « Proactive », car l’avenir se construit comme le disait Gaston Berger «L’avenirne se prévoit pas, il se prépare».(11)

Le comment faire ?

C’est de promouvoir la culture de la paix et de la coopération dans tous les domaines; naval et autres, par la création de la première Ecole (ou Université) de la paix dans la région méditerranéenne pour préparer les futures générations.La Tunisie, de par sa position géographique au cœur de la Méditerranée, son histoire comme carrefour de civilisations, son engagement dans la voie démocratique depuis la révolution de Jasmin en 2011, ses qualités pacifiques et modérées en matière dediplomatie, dispose de tous les atouts pour initiercette idée,la défendre et éventuellement être son siège.

Taoufik Ayadi

(1)2 pétroliers saoudiens attaqués le 12 mai 2019. 1 tanker norvégien et un japonais attaqués le 13 juin 2019.

(2)Il s’agit du navire «Le Grace 1» chargé de 2,1 millions de barils de brut iranien intercepté le 4 juillet 2019.

(3)Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

(4)Militaire et politicien anglais (1599 – 1658).

(5)Initié par la France depuis 2004, le volet défense du dialogue 5+5 regroupe 5 pays de la rive nord : Portugal,Espagne, France, Italie, Malte. Et 5 de la rive sud :  la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye.

(6)La Grande Bretagne durant l’apogée de sa prédominance historique (1860-1914) , contrôlait ces 3 verrous grâce à l’occupation de Gibraltar, Malte et Suez, pour sécuriser ses navires marchands en transit en Méditerranée.

(7)D’après la déclaration faite par Hassan Nasrallah lors d’un discours télévisé le 16-02-2018.

(8)AEM : c’est l’exercice des responsabilités de l’Etat sur les espaces maritimes qui relèvent de sa souveraineté ou de sa juridiction. Elle couvre les missions d’intérêt public, de maintien de l’ordre, de police, prévention de la pollution…etc.

(9)En application du concept stratégique adopté à cette date et connu sous le nom « Pivot asiatique ».

(10)Cette opération est menée par les forces navales européennes de l’opération « Atalante », l’US navy, l’Indiannavy, les marines Iranienne, Russe et Chinoise.

(11)Godet  (M) et Durance (P), La prospective stratégique pour les entreprises et les territoires, Paris, Dunod, 2011, P 16.