Hommage à ... - 01.02.2017

Adieu Azouz, adieu le plus illustre des clubistes

Adieu Azouz: Adieu le plus illustre des clubistes

Comment qualifier Azzouz Lasram, cet homme qui a su mener une brillante carrière administrative, politique, qui s'est investi dans le sport et  qui, fait exceptionnel, a su se retirer au moment où il fallait le faire?

Homme politique brillant et serviteur infatigable de l’Etat, il a été également un diplomate chevronné, un financier aguerri, un dirigeant sportif hors pair, mais aussi un personnage populaire célèbre, aimé et des supporters de son équipe et des gens de sa ville (La Marsa) et de son quartier (Lahouèche) et des joueurs, Azouz savait parler aux jeunes simplement. Il s’intéressait à chacun d’eux.

Abdelaziz Lasram, appelé par ses proches, Azouz, et par ses collaborateurs et ses joueurs Si Azouz, vient de nous quitter à l’âge de 88 ans. Il a été l’un des personnages qui ont, sans doute, marqué la vie politique, sociale et sportive tunisienne durant les années 1970 à environ 1990. Il a été surtout le plus illustre des clubistes. Il a si bien métamorphosé le grand club de la capitale qu’il en a fait, à son époque, le club le plus redoutable d’Afrique du nord.

Après des études à La Marsa, puis à Tunis au Collège alaoui et au lycée Carnot,  et enfin à Paris, d’abord à la Faculté de droit où il obtient la licence puis  à l’ENA, il rentre dans son pays natal. Il engage, après avoir milité dans la jeunesse destourienne, une carrière de grand serviteur de l’Etat au ministère des finances, ensuite au ministère des affaires étrangères.

Joueur de football du Club africain, jusqu’à la catégorie junior où il côtoie Farid Mokhtar, Mahmoud Mestiri, Mohamed Ali Annabi, Moncef Dargouth, Abdelmajid Dahak, il ne peut mener à terme une carrière sportive. Ayant subi l’influence de son oncle maternel, Abdelmalek Ben Achour, il supporte sans faillir le club rouge et blanc qu’il suit partout. Il goûte aux délices des sacres de 1947 – 1948 et 1948 – 1949.

En 1963, malgré son jeune âge (35 ans), il est choisi par les barons du Club africain pour présider aux destinées du club de Bab Djedid, dont les résultats étaient en deçà de tous les espoirs pendant les années 50. Les résultats de la nouvelle méthode de direction impulsée par le jeune Si Azouz, entouré d’une équipe dirigeante jeune et dynamique, ne tardent pas. Durant la saison 1964 – 65 le club africain est sacré le champion de Tunisie. L’année d’après, 1965, après avoir raté le championnat d’un cheveu, le CA remporte pour la première fois de son histoire la coupe de Tunisie.  

Nommé par le Président Bourguiba, ministre plénipotentiaire à l’ambassade de Tunisie à Paris pour épauler les efforts de l’ambassadeur Mohamed Masmoudi pendant cette période trouble des relations tuniso-françaises, Azouz confie les destinées du CA à ses collaborateurs les plus proches, notamment Mahmoud Mestiri  qui lui succède à la présidence du club.

En 1970, notre regretté défunt regagne le MAE comme directeur général de la coopération internationale ensuite comme secrétaire général de ce ministère dirigé alors par son ami Mohammed Masmoudi. Il reprend en 1971 la présidence du CA qui a sombré de nouveau.  Il restera à la tête du club jusqu’en 1977. Sous sa présidence, l'équipe de football remporte trois fois le championnat, quatre fois la coupe de Tunisie, la coupe du Maghreb des vainqueurs de coupe en 1971 et trois fois la coupe du Maghreb des clubs champions entre 1974 et 1976. C'est pendant cette période qu'il est nommé, le 25 septembre 1974, ministre de l’économie nationale dans le gouvernement Nouira. Il cumule ses fonctions ministérielles avec la présidence du club jusqu’à 1977. Il est cependant amené à renoncer à la présidence officielle du CA et confie les destinées du CA à son coéquipier et ami Ferid Mokhtar sans cesser de suivre la marche du club dans les détails.
Avant les événements du 26 janvier 1978, Azouz Lasram se trouve en désaccord avec la ligne politique du Premier ministre Nouira et démissionne du gouvernement.

Le 25 avril 1980, Azouz Lasram est de nouveau nommé ministre de l’économie nationale dans le gouvernement présidé par Mohamed M’zali. Il y restera jusqu’à la veille des émeutes du pain de janvier 1984. En désaccord avec le Premier ministre, il démissionne pour la deuxième fois et quitte définitivement la scène politique. Lorsque le Président Bourguiba est destitué en 1987, un journaliste essaye de lui faire dire du mal sur le Président Bourguiba. Sa réponse est sans appel « il serait mal venu d’un ancien ministre de Bourguiba de dire du mal de lui alors qu’il n’est plus là », déclaration peu appréciée par le nouveau pouvoir qui ne sollicitera jamais Azouz Lasram.

Depuis il a vécu à Paris, a fait profiter de sa grande expérience la banque ABC et a fondé une association des amis du club africain. A chacun de ses retours à Tunis, il ne ratait jamais l’occasion de visiter le parc Mounir Kebaili et d’assister aux assemblées générales du club.

Lors de la crise qu’a connue le CA en 1991, suite à la grève de certains joueurs encouragés par un certain entraîneur,  Azouz s’implique personnellement dans cette affaire pour soutenir le président du club, Farid Abbes, et va même, malgré son statut, jusqu’à accepter d’aller rencontrer l’entraîneur en question dans une station service de Tunis, rendez-vous auquel ledit entraîneur ne se présenta pas.

Depuis, Azouz a cessé de s’occuper directement des affaires du club africain mais Il a continué à s’y intéresser jusqu’à ces derniers jours. Sa présence lors de la présentation de l’ouvrage de Khelil Chaibi a été un moment de grandes retrouvailles avec tous ses admirateurs, dirigeants, anciens dirigeants, anciens joueurs et supporters. Chacun tenait à se faire photographier à ses côtés. Chacun voulait l’entretenir des problèmes du CA.

Il a suivi, ces dernières années, avec beaucoup d’amertume, les destinées de son club qui a perdu son aura, ses références, ses valeurs et ses idéaux au point que ses supporters se livrent batailles entre eux.

Le CA a connu avec Azouz Lasram son âge d’or. Aujourd’hui, tous les clubistes, même les plus jeunes qui ne l’ont pas connu, le pleurent et le regrettent. Les réactions des uns et des autres sur les réseaux sociaux sont assez éloquentes à ce sujet.

En perdant Azouz Lasram, le Club Africain ne perd pas en sa personne un grand président, il perd son véritable père spirituel. Il perd  un grand sage. Il perd celui qui a donné au Club Africain la grande dimension et la popularité qu’on lui connaît aujourd’hui.


Personnellement, j’ai perdu mon frère aîné. Il m’a non seulement appris l’attachement aux valeurs du CA mais également inculqué l’esprit de service public. C’est parrainé par lui et par mon oncle Si Abdemalek que j’ai intégré du bureau directeur de CA en 1986. J’y occupais le poste de secrétaire général adjoint. Quelques mois seulement après ma prise de fonction, je me trouve au premier plan suite à la désignation du SG en titre, M. Mohamed Ali Boulaymane comme maire de la capitale, et surtout suite à la disparition tragique du Président Farid Mokhtar. Azouz, toutes affaires cessantes, débarque de Paris. Il regagne Tunis, pour accompagner son ami de toujours à sa dernière demeure et pour soutenir le comité directeur du CA décapité  à assurer la direction du club jusqu’à la tenue de l’Assemblée générale.

Azouz fût pour moi un guide, un confident, un modèle. Mes souvenirs avec lui s’entremêlent. J’ai sillonné avec lui le pays pour suivre les rencontres du CA. J’ai eu avec lui les discussions les plus passionnantes et les plus intéressantes. Durant ces deux dernières années, je lui rendais régulièrement visite. Nos discussions portaient en surtout sur le CA et sur la situation politique et économique du pays. Pour la dernière fois, j’ai passé avec lui la matinée du samedi 7 janvier. L’après midi même il eut son accident de santé.

Nous nous inclinons tous aujourd’hui en reconnaissance à l’œuvre de cet homme exceptionnel et formulons l’espoir de voir le CA retrouver les valeurs qu’il lui a inculquées.

Ma peine est immense. Elle est surtout insupportable, car mes obligations professionnelles m’empêchent de l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure.

Allah yarhamek Azouz et sois certain que les leçons que tu nous a données durant ta vie resteront indélébiles.
Adieu Azouz. Adieu le plus illustre des clubistes.

Rafâa Ben Achour


 

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