Notes & Docs - 05.11.2015

La modernisation du cadre opérationnel de la politique monétaire

la modernisation du cadre opérationnel de la politique monétaire

Madame l’Ambassadeur de l’Union Européenne,
Mesdames et Messieurs, les Présidents Directeurs Généraux et les Directeurs Généraux des banques et des institutions financières
Honorables invités,


C’est pour moi un réel plaisir de procéder aujourd’hui, officiellement, à l’ouverture du  séminaire de lancement du projet de jumelage portant sur la modernisation du cadre opérationnel de la politique monétaire, projet qui a été conclu  entre la Banque Centrale de Tunisie et la Banque de France, dans le cadre du programme d’appui à l’Accord d’Association et au Plan d’Action de Voisinage avec l’Union européenne. Ce projet s’étalera sur une période de deux ans, soit de mai 2015 à mai 2017.

Il s’agit en fait de la deuxième expérience du genre qu’on  réalise avec notre partenaire français, expérience qui ne peut que renforcer les liens de coopération qui existent entre nos deux institutions.

Je voudrais, à cette occasion, exprimer ma réelle satisfaction de voir ce projet se concrétiser, enfin, après de longues négociations avec nos partenaires européens, pour s’entendre sur la portée du projet et les responsabilités incombant aux différentes parties dans la mise en œuvre de ce jumelage.

Je tiens à remercier les principaux protagonistes de cet ambitieux projet, en commençant par l’Union Européenne qui a bien voulu le parrainer, en fournissant les fonds nécessaires à son financement, la Banque de France et la Deutsche Bundesbank  qui ont engagé, pour le besoin de ce jumelage, d’éminents experts, sans oublier l’Unité de Gestion du Programme d'Appui à l'Accord d'Association et au Plan d’Action de Voisinage (UGP3A) pour les efforts qu’elle ne cesse de déployer pour assurer la réussite de cette œuvre.

Destiné principalement à moderniser le cadre opérationnel de la mise en œuvre de la politique monétaire de la Banque Centrale de Tunisie, ce projet s’inscrit parfaitement dans une logique de continuité avec ce qui a pu être réalisé, lors du premier jumelage, qui avait pour objectif, faut-il le rappeler, de doter la Banque Centrale de Tunisie d’un cadre d’analyse et de prévision à même de lui permettre, le moment voulu, de migrer vers une stratégie de politique monétaire axée sur le ciblage de l’inflation.

Aujourd’hui, et grâce aux acquis du premier jumelage, la Banque centrale dispose d’une boite à outils qui lui permet de mener des analyses fines de la situation économique, monétaire et financière du pays. Les modèles de prévision de la croissance et de l’inflation, développés « in house », nous habilitent non seulement à confectionner des tableaux de bord, fort utiles comme support d’aide à la décision, mais surtout, de mener une politique monétaire proactive à même d’ancrer les anticipations inflationnistes, et par là, d’être en mesure de ramener l’inflation vers sa cible implicite  à moyen terme.

Aussi, les décisions de politique monétaire introduites par les organes de décision (Conseil d’Administration sur proposition d’un Comité de Politique Monétaire) sont-elles prises, au cours de la période récente, sur la base d’une évaluation  plus approfondie de la conjoncture économique, de l’évolution des prix, des agrégats monétaires et de l’environnement international.

Comme vous l’avez pu le constater, la conduite de la politique monétaire est devenue de plus en plus proactive, anticipant sur les grandes tendances attendues pour la période à venir. Cela commence d’ailleurs à donner ses fruits, dans la mesure où les agents économiques intègrent désormais dans leur processus de décision, les actions anticipées de la politique monétaire.

Le deuxième projet vise donc principalement à consolider les avancées réalisées lors du précédent  jumelage afin de permettre à la Banque centrale de Tunisie d’améliorer le cadre opérationnel de mise en œuvre de la politique monétaire, en conférant plus de profondeur au marché monétaire, en consacrant le taux d’intérêt comme instrument privilégié de la politique monétaire, qui traduit le risque sur le marché et qui reflète le vrai coût de l’argent, contribuant ainsi à l’émergence d’une courbe de taux à court terme. Evidemment, cela ne peut qu’approfondir le marché des changes, le marché obligataire et de manière générale  améliorer la liquidité   et l’attractivité du  marché financier tunisien.

Ce projet s’articule autour de quatre volets, qui sont fortement interdépendants et liés directement à la conduite de la politique monétaire et à la gestion de la liquidité bancaire, dans un cadre opérationnel qui ambitionne de devenir plus harmonieux, plus  transparent et surtout en ligne avec les meilleures standards internationaux en la matière.  Il s’agit :

  • du réaménagement des modalités d’intervention de la Banque centrale sur le marché monétaire,
  • de l’amélioration des capacités de prévision de la liquidité bancaire,
  • de la dynamisation et du développement du marché interbancaire des liquidités, et
  • de la réforme du marché des titres de créances négociables (TCN),

Outre la pertinence des axes à développer  et leur impact positif attendu sur la dynamisation du marché interbancaire de liquidités et la  gestion plus rationnelle de la trésorerie bancaire, la Banque centrale ambitionne, à travers ce projet, de renforcer l’efficacité de la politique monétaire, grâce à une meilleure compréhension du fonctionnement des canaux de transmission des impulsions monétaires, contribuant ainsi à préparer le terrain pour une plus grande libéralisation financière de l’économie tunisienne, à même de lui permettre de drainer des flux de capitaux stables pour financer les investissements productifs, créateurs d’emplois.

Mesdames et Messieurs

Nous savons tous que la Banque Centrale a engagé un processus ambitieux de modernisation du secteur bancaire destiné à améliorer les pratiques de marché et à accroître la solidité des banques et leur compétitivité.
Des avancées notables ont été réalisées dans ce sens, avec notamment la promulgation de textes visant le renforcement des règles de bonne gouvernance dans les établissements de crédit ainsi que de nouvelles exigences en matière de provisionnement, de solvabilité et de liquidité par le relèvement progressif du ratio de solvabilité minimum à 9% en 2013 puis à 10% à partir de 2014,  parallèlement à l’institution de nouvelles règles prudentielles de gestion de risque de liquidité à court terme selon la norme bâloise (le fameux LCR), décisions entérinées  en 2015, mais dont l’application graduelle s’étendra jusqu’en 2019.

Dans le même sillage, l’actionnaire de référence qu’est l’Etat a réussi,  à finaliser l’opération de recapitalisation de deux banques publiques à travers la concrétisation progressive du programme de restructuration arrêté à la suite des missions de full audit, auxquelles  trois banques publiques ont été soumises, ce qui est en harmonie avec les objectifs des autorités monétaires, visant à renforcer la solidité financière du système bancaire et sa capacité à fournir les financements nécessaires à l’œuvre du développement.
Parallèlement, d’autres projets de réformes stratégiques ont été déjà engagés par la Banque Centrale et se trouvent à des stades assez avancés à l’instar de la refonte des statuts de la Banque Centrale, en vue de doter l’Institut d’Emission d’un cadre juridique digne d’une banque centrale moderne, dont les principales missions s’étendent désormais, outre la stabilité des prix, à la stabilité macro prudentielle et à la modernisation des systèmes des paiements, entre autres. De même, un projet d’amendement de la loi régissant l’activité bancaire, est en cours de finalisation,  destiné à moderniser le système bancaire tunisien et de le doter des meilleurs  principes et règles de marché. 

Les défis à relever sont donc majeurs pour parachever les réformes déjà engagées sur tous les plans et ce n’est que grâce à un système bancaire solide et sain, et une politique monétaire efficace que la relance économique, telle que consignée dans le plan quinquennal de développement économique 2016-2020, pourrait se concrétiser.

Mesdames et Messieurs

Le projet de la loi de finances de l’année 2016, qui sera la première loi de finances d’un Gouvernement stable après la révolution, a été élaboré dans un contexte particulièrement difficile, où notre économie nationale subit encore des pressions internes et externes: déficit du compte courant  dépassant nettement les 8% du PIB, stagnation de l’investissement, baisse des recettes touristiques, taux de chômage élevé, instabilité des prix mondiaux des matières premières…et j’en passe.

Face à ces défis, le secteur bancaire est appelé, plus que jamais, à déployer davantage d’efforts en matière de mobilisation de l’épargne et de financement des investissements dans des créneaux à haute valeur ajoutée.

Pour sa part, la politique monétaire, grâce aux instruments dont elle dispose, aurait un rôle majeur à jouer pour la relance économique et la maîtrise de l’inflation. 
La conjoncture économique difficile  par laquelle passe la Tunisie appelle, à juste titre, la Banque centrale à être constamment dans une situation d’arbitrage entre  une politique monétaire contra-cyclique, visant à contribuer à une croissance soutenue et durable et sa mission principale consistant à préserver la stabilité des prix. D’ailleurs, la récente baisse du taux directeur de la Banque centrale  s’inscrit parfaitement dans cette logique des choses.

Mesdames et Messieurs

Il ne vous échappe pas que la modernisation de la conduite de la politique monétaire n’est pas une fin en soi, mais plutôt un changement d’état d’esprit et de modèle de communication qui aide le secteur réel à mieux appréhender les décisions de politique monétaire  et par conséquent, accroît l’efficacité de ses  mécanismes de transmission.

In fine, l’objectif  recherché est, bien entendu, de faire de cette politique un facteur déterminant dans l’allocation optimale des ressources de l’économie, sur la base d’un libre jeu des mécanismes de marché, où la complémentarité entre les différents compartiments du marché financier incite à l’arbitrage entre les maturités, les instruments et le régime de taux.

Je suis persuadé que ce degré d’évolution constituera une étape pour l’accélération de notre intégration commerciale et financière dans l’économie mondiale, combien utile, et pour surmonter les défis de la croissance et préserver le bien-être social.

Notre décision de consacrer un tel jumelage à la modernisation du cadre opérationnel de conduite de la politique monétaire s’inscrit dans une stratégie globale de parachever certaines réformes structurelles déjà mises en place. Ainsi, la Banque centrale, grâce au renforcement de son processus de prise de décision, notamment, avec la création d’un Comité de Politique Monétaire à la fin de 2012, l’amélioration de la  communication autour de la politique monétaire et l’adoption  d’un système d’échange de données moderne, sécurisé et rapide, pour le traitement des opérations de politique monétaire, a franchi un pas important dans la bonne direction. Toutefois, il lui reste beaucoup à faire, surtout en matière d’infrastructure de marchés.

Mesdames et Messieurs

Durant les deux années de ce jumelage, nos actions de modernisation et de perfectionnement se concentreront également sur l’amélioration de la qualité de la communication de la Banque centrale qui constituera un vecteur qualitatif de transmission des impulsions de la politique monétaire. Bien évidemment, cela nécessite l’adhésion des banques et toute la place financière à cet objectif, grâce à une plus étroite collaboration et à la mise en œuvre de toutes les synergies et toutes les capacités à leur disposition, qu’elles soient humaines ou techniques pour concrétiser les réformes proposées.

Nous comptons sur l’apport fructueux des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) pour remédier à certaines distorsions, parfois issues de pratiques courantes constatées sur le marché interbancaire, telle que le consensus sur le taux au jour le jour ou la surenchère sur les taux de rémunération des dépôts et des titres de créances négociables, pratiques qui enfreignent le développement du marché monétaire.

Vous convenez que de tels progrès profiteront, en premier lieu, à tous les acteurs de la place et en second lieu à la Banque centrale qui pourrait disposer, de ce fait, d’informations plus pertinentes sur les anticipations des marchés, données fort utiles pour les décisions de politique monétaire. C’est dans cet esprit que tous les efforts se conjugueraient, de part et d’autre,  pour faire réussir ce programme de jumelage.

De toute évidence, on ne peut imaginer une transmission fluide des impulsions monétaires sans un système bancaire solide, pouvant anticiper les orientations futures de la politique monétaire, pour les intégrer dans les conditions débitrices et créditrices. Les maturités échangées ne doivent pas se limiter au jour le jour ou à la semaine, comme c’est le cas actuellement, mais bien au-delà, pour pouvoir aboutir à d’autres taux référentiels que le TMM.

Mesdames et Messieurs

Je voudrais enfin saisir  cette opportunité pour insister sur la nécessité, pour nous tous, de se pencher sur les moyens pouvant permettre de parer aux imperfections caractérisant le fonctionnement du marché monétaire, en donnant l’importance requise aux techniques les plus évoluées de gestion des risques. A titre d’illustration, il est clair que les banques montrent une certaine réticence à s’adonner aux opérations de repo, bien qu’il s’agisse  d’opérations sécurisées, régies par un cadre légal et réglementaire exhaustif.

Dans le même sillage, le projet de livraison contre paiement (LCP) qui compte parmi les réformes engagées par la Banque Centrale, connait des avancées significatives  et sa mise en application se concrétisera dans un futur proche, de concert avec Tunisie clearing.

Ce n’est qu’à ces conditions qu’on pourrait espérer l’émergence d’une courbe de taux monétaires, ouvrant la voie à une plus grande libéralisation financière et à une possible déconnexion par rapport au TMM.
Enfin, je voudrais profiter de cette occasion pour  saluer,  la présence de ce large public de professionnels et d’universitaires qui ne manquera pas d’enrichir les discussions et les débats et d’approfondir les réflexions sur les axes choisis pour ce nouveau programme de jumelage dont le parachèvement ne manquerait pas, j’en suis persuadé, d’influer positivement sur les nouvelles orientations de la politique monétaire et plus particulièrement sur sa capacité à assurer la stabilité des prix et  à contribuer  à remettre  l’économie nationale  sur une trajectoire de croissance saine et durable. 

Ce sont là quelques réflexions que j’ai voulu partager avec vous. Je réitère mes remerciements à tous nos partenaires du jumelage, et  souhaite à vous tous plein succès dans la suite de vos travaux.
Je vous remercie pour votre attention.

Conférence donnée par M. Chedly Ayari à au Séminaire de lancement du jumelage entre la Banque Centrale de Tunisie et la Banque de France
(5 novembre 2015)

 

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