News - 09.04.2014

Béji Caïd Essebsi: Prêts pour la bataille...quand même

Un bureau directorial comme on en voit souvent, sauf que celui-ci  est truffé de portraits de Bourguiba comme pour marquer, s’il en était besoin, la filiation avec le bâtisseur de la Tunisie moderne.

Deux ans presque jour pour jour après son premier appel à la Tunisie qui sera le texte fondateur du nouveau parti, Béji Caïd Essebsi va se livrer 90 minutes durant, à un exercice de haut vol sous le regard bienveillant de…Bourguiba dont le buste en bronze trône sur un guéridon. Ponctuant ses phrases, comme il nous y avait habitués, de citations coraniques ou littéraires, il dresse un tableau synoptique de la situation politique depuis les élections: la victoire écrasante d’Ennahdha, ses dérives, puis la création de Nidaa Tounes «pour équilibrer le paysage politique». En août 2013, c’est la rencontre historique avec Rached Ghannouchi à Paris sur laquelle il revient par le menu détail. Si Béji a réussi son pari. Rien ne sera plus comme avant. Aucun parti ne pourra désormais prétendre gouverner seul. Quels que soient les résultats du scrutin, le prochain gouvernement devra être constitué par une coalition de partis au sein de laquelle on pourrait retrouver Nidaa Tounes et Ennahdha. Béji Caïd Essebsi s’élève contre ceux qui parlent d’un mini-Yalta entre lui et Ghannouchi. «Il n’y a eu aucun marché entre nous», soutient-il, de même qu’il ne partage pas l’avis de ceux qui craignent une bipolarisation de la vie politique. «D’ailleurs, rectifie-t-il, il n’y a pas deux pôles mais trois avec celui du Front populaire». Quant à une éventuelle alliance avec le Mouvement des Destouriens, il l’écarte d’un revers de main. Il n’est pas près de digérer  les attaques «injustes» de son président, Hamed Karoui, «l’ami de 50 ans». On repense à Voltaire : «Dieu, préservez-moi de mes amis, de mes ennemis, je m’en charge». Car le président  de Nidaa n’a cessé ces derniers mois d’essuyer les tirs amis. Bien avant Karoui, il avait déjà subi les critiques acerbes d’un ancien allié, Ahmed Nejib Chabbi, avec qui il n’avait jamais eu, il est vrai, d’atomes crochus.
 
Si Béji se projette dans l’avenir :le plan de bataille de Nidaa Tounes pour les élections,  la présidentielle  à laquelle il pense sérieusement, pourvu que «la carcasse tienne».Il évoque ses rapports avec Hamma Hammami, «un garçon intelligent qui n’est plus dogmatique», Mehdi Jomaa, l’UPT. On l’interroge enfin sur le fonctionnement interne de Nidaa. Il répond par un large sourire. Ce n’est pas à son âge qu’il va commencer une carrière de dictateur.

C’est indéniable : Béji Caïd Essebsi est un personnage à part sur la scène politique tunisienne. C’est un animal politique, un homme d’Etat au sens plein du terme. Les vrais en Tunisie peuvent se compter sur les doigts d’une seule main. Une intelligence des hommes et des faits dont peu peuvent se prévaloir. Respectueux de ses partenaires comme de ses adversaires. Mais il dit ce qu’il pense sans acrimonie. Parfois sans se faire prier. Sa gouvernance peut paraître autoritaire. Elle  repose sur un principe simple mais combien compliqué : la proximité avec chacun et tous ses collaborateurs, chacun se sentant indispensable et unique, tous ayant le sentiment de servir plus un destin qu’un homme. Lui en profite pour asseoir son autorité sur tout un chacun et sur l’ensemble, décidant de tout, régentant tout. Même si cela provoque des remous au sein de la Maison Nidaa Car c’est ainsi, car c’est lui.

«Rached Ghannouchi a tenu ses engagements»

Mais contrairement à ce que l’on croit, Béji Caïd Essebsi n’est pas avare de compliments. Ni pour ses adversaires ni pour ses partenaires. Il ne tarit pas d’éloges sur Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha. Même s’il répète que c’est lui qui a provoqué leur rencontre à Paris et redit qu’il a eu avec lui une conversation longue (3 heures) et franche, c’est-à-dire où ils ne se sont entendus sur rien, il souligne que l’homme a tenu ses engagements. Il convient que ce n’était pas facile pour Cheikh Rached — c’est ainsi qu’il l’appelle affectueusement— de convaincre ses troupes qui voulaient en découdre avec l’opposition. Pour lui, c’était beaucoup plus simple. Il en a parlé après coup pour informer les membres de son parti et ses partenaires de l’opposition. C’était suffisant, même si les uns et les autres étaient sous le choc. Beaucoup n’en croyaient pas leurs oreilles. Les risques de conflagration étaient-ils réels à ce moment ? lui demande-t-on. Il acquiesce, le ton grave. «Nous nous sommes rencontrés jeudi, le lundi suivant Cheikh Rached est allé voir M.Houcine Abassi pour lui dire que son parti rejoignait le Dialogue national», dit-il un brin satisfait. «Lorsque nous nous sommes rencontrés, c’est ce que je lui ai demandé alors qu’il paraissait réticent car il estimait que ce n’était pas le rôle de l’Ugtt de parrainer le Dialogue national», rappelle-t-il comme pour revendiquer la paternité de ce changement d’attitude essentiel pour la suite des événements. La situation en Egypte a-t-elle joué dans ce changement salutaire ? Pour un homme politique intelligent, tout compte, répond-il. Il admet que le fait qu’Ennahdha ait rejoint le Dialogue national fut de bon conseil car son parti Nidaa Tounes réclamait beaucoup plus le départ du gouvernementn mais aussi la dissolution de l’Assemblée constituante élue pour un an pour la rédaction d’une Constitution et qui était à ses yeux dans l’illégalité. «Jamais je n’ai perdu confiance que nous allions réussir», dit-il plein de reconnaissance au leader d’Ennahdha, rappelant qu’il a toujours soutenu que le parti islamiste est une «partie du paysage politique tunisien et le restera». Il n’a pas changé d’avis. Ce qu’il lui reproche, c’est d’être devenu un «parti dominant».«A aucun moment, je n’ai douté de la réussite du Dialogue national» ajoute-t-il. Alors que d’autres au sein du Dialogue nourrissaient des doutes, lui avait eu «toujours confiance qu’il allait déboucher sur ce que nous voulions parce que c’était l’intérêt de la Tunisie». «Tous les partis étaient conscients du poids de la responsabilité politique qui leur incombait. Les organisations nationales, l’Ugtt et l’Utica en tête, étaient imperturbables dans leur détermination à le faire aboutir», précise notre interlocuteur.

Sur le parti islamiste, BCE ne change pas d’avis. «J’ai toujours soutenu que le mouvement Ennahdha est partie intégrante de la scène politique tunisienne et le restera. C’est une réalité que personne ne peut nier. Mais, je dois bien dire aussi que ce parti dont la référence religieuse islamique est claire et nette n’est pas celui dont je partage les idées. Nidaa Tounes est un parti pour l’avenir, un parti démocratique, moderniste ouvert sur le futur. Alors qu’Ennahdha est un parti qui se réfère au passé». C’est la grande différence entre les deux.

Rééquilibrer le paysage politique, mission accomplie

C’est d’ailleurs contre la domination d’un parti, quel qu’il soit, qu’il a pris l’initiative de constituer le mouvement Nida Tounes avec l’objectif de «rééquilibrer» la scène politique tunisienne. Il est content d’avoir pleinement réussi dans sa mission puisque le parti compte quelque 115.000 adhérents et caracole aux premières places des intentions de vote dans les sondages. Pour celui qui croit que la politique est une obligation de résultat, c’est «mission accomplie».

Il n’est pas dupe pour autant, le rééquilibrage du paysage politique ne signifie pas le triomphe de la démocratie. Celle-ci, dit-il, est «un processus évolutif destiné à créer les conditions appropriées pour l’alternance politique».  On vous reproche d’avoir favorisé la bipolarisation de la vie politique tunisienne ? Il s’en défend, non que ce ne fut pas son intention mais parce qu’il estime que ce n’est pas la réalité. Pour lui, cette quête du « rééquilibrage» a fait qu’il y a actuellement trois pôles avec en plus d’Ennahdha et ses satellites, Nidaa  et les partis proches ainsi que Jebha Chaabia, une alliance de treize partis. A quoi servira l’Union pour la Tunisie, cette coalition de partis formée autour de Nidaa Tounes ? «C’est un front politique et électoral». «Pour le politique, ça ne pose aucun problème, pour l’électoral, les modalités  restent à définir en temps opportun», dit-il. Il regrette que le parti Joumhouri ait décidé de quitter l’UPT. Il aurait bien voulu que le parti de la Moubadara Doustouria de Kamel Morjane le rejoigne mais il lui semble que ce n’est plus le chemin dans lequel veut s’engager ce parti.

«Hamma Hammami, un garçon intelligent»

S’agissant du Front du salut que l’UPT formé avec la Jebha Chaabia, Béji Caïd Essebsi  se félicite qu’il ait réussi l’objectif pour lequel il a été constitué. Il lui prédit un avenir. Son partenaire, Hamma Hammami, porte-parole de la Jebha, a déjà réussi à mettre ensemble  treize partis de même sensibilité, c’est déjà une performance. Il se fait laudatif sur l’homme. «C’est un garçon intelligent qui n’est plus dogmatique et qui pense d’abord à l’intérêt de son pays», dit-il. Pour lui, seuls les imbéciles ne changent pas d’avis.

Sera-t-il candidat à l’élection présidentielle comme les dirigeants de son parti le pressent de le faire car il est le meilleur d’entre eux, Béji Caïd Essebsi observe un temps d’arrêt. «A un moment, pour jeter un pavé dans la mare, j’ai dit que je serai candidat, mais croyez-moi je ne ferai rien qui ne soit dans l’intérêt du pays, pour moi l’intérêt de la patrie est au-dessus de l’intérêt du parti. Je dis toujours la patrie avant les partis. Si je juge que ma candidature est utile je n’hésiterai pas un seul instant. Mais bien évidemment, les conditions personnelles, physiques et morales doivent être au beau fixe», dit-il, en ajoutant, avec le sourire, qu’il n’est jamais aussi combatif que quand il est confronté aux épreuves. Une élection en est une.

«J’ai failli démissionner à cause des mesures d’exclusion» avant les élections d’octobre 2011

Croit-il que les élections auront lieu en 2014 ? Il ne saurait l’affirmer quand bien même la fin 2014 est maintenant inscrite dans la Constitution comme date butoir. Mais pour arriver à ces échéances, il faut d’abord finaliser la loi électorale, ce qui n’est pas encore fait, et en même temps activer l’Isie et mettre les moyens à sa disposition, ce qui n’est pas une mince affaire puisqu’il chiffre les dépenses inhérentes à cette institution à quelque 60 millions de dinars. Naturellement, il est farouchement opposé à des mesures d’exclusion collective à l’encontre des tenants de l’ancien régime. Cette mesure a été prévue de façon dérogatoire et uniquement pour l’élection de l’ANC, observe-t-il en rappelant qu’il a failli démissionner de ses fonctions de chef de gouvernement quand la question a été soulevée avant les élections du 23 octobre 2011.

Le président provisoire doit-il démissionner s’il envisage de se présenter ? Il n’élude pas la question, il estime que rien dans les textes ne l’y oblige. Pour l’intéressé, ce n’est même pas une question d’éthique politique, il doit s’en remettre à sa conscience, dit-il sans trop s’appesantir sur ce qui est pour lui un non-problème.

Une aide massive est nécessaire pour sortir de l’ornière

Que fera Nidaa Tounes après les élections? Sera-t-il prêt à gouverner ensemble avec Ennahdha ?  Sa réponse mérite qu’on la lise in extenso : «Il ne fait pas de doute qu’aucun parti politique ne peut gouverner seul la Tunisie. Le moment venu, il faudrait créer des alliances. Pour ma part, compte tenu des défis énormes qui se présentent au pays, je serai favorable à un gouvernement de consensus national qui rassemble toutes les sensibilités politiques. Mais il est prématuré de le prévoir maintenant. Gouverner avec Ennahdha, pourquoi pas si c’est dans l’intérêt du pays. Mais sur la base d’un programme de gouvernement. Cependant, je réaffirme que nos deux partis n’ont rien en commun au niveau de l’idéologie et des visions politiques. Nous pouvons seulement nous réunir autour de  l’intérêt supérieur de la nation».Voilà qui est dit.

Et avec les autres partis ? Il n’exclut rien et en homme politique avisé, il ne veut pas insulter l’avenir. Chaque chose en son temps. Il est prêt à gouverner avec tout le monde. Seule exception, et il le dit sans détour, le parti de Hamed Karoui. Il semble avoir été ulcéré, blessé même  par les attaques du président du Mouvement destourien contre lui et contre son parti. Pour le gouvernement Mehdi Jomaa, il dit que s’il n’a pas soutenu sa candidature, c’est qu’il ne le connaissait pas. Mais une fois choisi, il l’a tout de suite appuyé car c’est l’intérêt du pays qui le commande. Il continue à lui témoigner le préjugé favorable même s’il estime que c’est pour lui «mission impossible» compte tenu des problèmes dont il hérite. «La bataille économique conditionne tout le reste et les pays frères et amis doivent nous accorder une  aide massive pour que le pays sorte de l’ornière», souligne-t-il. Il rappelle le plan sur 5 ans de 25 milliards d’aide extérieure qu’il a présenté au Sommet du G8 à Deauville en France en 2012.

Hédi Béhi , Raouf Ben Rejeb et Taoufik Habaieb

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Observateur - 09-04-2014 23:20

Issu d'un système dictatorial et anti-démocratique, Béji Caïd Essebsi est la preuve qu'on continue à apprendre même à son âge. Je suis content de constater que BCE est en train d'embrasser le système démocratique. Mieux vaut tard que jamais.

T.B. - 10-04-2014 00:50

Mr BCS vous voulez regarder la Tunisie sur la voie de l´avenir mais pour cela il faudrait savoir que le peúple tuniien ne permettra pas de revoir le passé dans l´avenir. Autrement dit il n´en veut plus des propos tels que: le système c´est moi, j´ai entendu dire aussi que Bourguiba se moquait de documents officiels puiceque c ´est lui qui les signe. J´espère que vous avez réalisez que le people tunisien pardonne beaucoup mais le passé ne doit pas se repeter!

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