Blogs - 06.02.2014

«Les habits neufs» du cheikh

Ceux qui ont suivi il y a deux semaines l'émission de Samir El Ouafi sur Attounissia avaient bien du mal à reconnaître en ce vieil homme digne, la mise soignée, exprimant  remords et regrets pour les fautes commises, le leader d'Ennahdha, sûr de lui et dominateur.Tout penaud, Rached Ghannouchi  fait son mea culpa : on était dans l’erreur. Il fait assaut d'amabilités envers ses anciens ennemis. «Essebsi» (Ennahdha a pris l'habitude de désigner ses adversaires par leur  nom de famille), hier diabolisé, devient «si Béji» « l’ami », «le patriote», et peut-être le futur allié. RG envisage même après les élections une coalition gouvernementale plus large dont les deux piliers pourraient bien être précisément Nidaa et Ennahdha, reconnaît que « la dissolution de l’ex RCD a été une grave erreur» et «comprend» ceux qui déclarent ouvertement regretter Ben Ali ou brandissent son portrait. Ses interlocuteurs n’en demandaient pas tant. Venus lui porter la contradiction, ils s’aperçoivent qu’ils sont en train d’enfoncer des portes ouvertes. Ils sont déstabilisés, tétanisés par sa modestie, feinte ou réelle, qui confine à l'humilité et se font obséquieux jusqu’à la flagornerie, ponctuant sans cesse leurs phrases par «sidi cheikh». 

La métamorphose de Ghannouchi a été  trop rapide pour être sincère ou constituer le couronnement d'un cheminement intellectuel et politique. Grisés par leur victoire écrasante aux élections du 23 octobre 2011, lui et son parti s’étaient complu pendant deux ans dans l'erreur et le mépris de l’opposition «les 0, %», au point de ne rien voir venir, ni la montée de Nidaa Tounès, ni l’érosion de leur popularité, ni la menace terroriste qui se précisait jour après jour, ni la crise économique. Le retour de bâton a commencé le 6 février 2013 lorsque le pays tout entier fut secoué par l’assassinat du militant de gauche, Chokri Belaïd par des terroristes salafistes. Pour absorber le mécontentement populaire  le parti islamiste a dû sacrifier le chef du gouvernement qui a été remplacé par Ali Larayedh et «neutraliser» les ministères régaliens. Pendant des semaines, l'opinion publique, oubliant l'assassinat, s'est passionnée pour ce jeu de chaises musicales qui a donné naissance à un nouveau cabinet dominé comme son devancier par les islamistes. Six mois après, le 25 juillet, c'est un autre militant de gauche, Mohamed Brahmi qui tombait sous les balles...du même terroriste. Entretemps, un évènement capital s'est produit en Egypte: le renversement le 3 juillet de Mohamed Morsi, suivi par l'arrestation de la plupart des cadres des «Frères musulmans».

Même si elle a dénoncé "le coup d'Etat", Ennahdha doit une fière chandelle à son artisan, le général Sissi parce qu'il lui a dessillé les yeux sur ses fragilités alors qu'elle se croyait installée au pouvoir pour des décennies. Avec la dissolution de la confrérie égyptienne el le reflux de la vague verte en Tunisie, au Yémen, en Algérie et maintenant en Egypte, c'est le rêve d'une Oumma gouvernée selon la Chariaa qui s'étendrait de Tanger à Djakarta qui s'évanouit pour Ghannouchi. Son mérite est de l'avoir compris très tôt et de réagir en conséquence. Comme en 1924, lorsque Staline, prenant acte de l'échec des mouvements révolutionnaires en Europe occidentale s'était résolu à construire «le socialisme dans un seul pays», le leader d'Ennahdha va mettre une croix sur ses prétentions internationalistes (il n'a jamais cru à l'Etat-nation), en s'employant à consolider l'islamisme tunisien. Il se rapproche de l'opposition et notamment de sa bête noire, Caïd Essebsi et  accepte l'idée d'un gouvernement de compétences. Il l'a dit et répété à plusieurs reprises. Il veut briser cette fatalité de l'échec qui a pendant longtemps, marqué l'histoire de  l'islam politique et entend faire de la Tunisie, la vitrine d'un islamisme tolérant et démocratique. Cet objectif ne pouvait se concrétiser qu'en y associant toutes les forces démocratiques. D'où le retour d'Ennahdha au Dialogue national qu'il avait saboté quelques mois auparavant.

Rached Ghannouchi est un adepte de la realpolitik, un pragmatique qui sait tenir compte du rapport de forces qui n'est plus en faveur d'Ennahdha. En acceptant la formule d'un gouvernement de compétences et en  faisant  des concessions sur la constitution, il a sauvé son parti. Il a maintenant le beau rôle. Les grands de ce monde louent la sagesse des islamistes tunisiens. Heureusement, les Tunisiens ne sont plus dupes. Echaudés par ces deux ans de pouvoir islamique et sachant qu'ils ont affaire à des gens qui pratiquent souvent le double langage, ils sont décidés à ne pas s'en laisser conter. Bourguiba nous a légués l'école républicaine et le CSP. C'est notre ligne fortifiée contre toutes les tentations obscurantistes à condition de ne pas baisser la garde, comme les Français en 1940 avec leur ligne Maginot. C'est à ce prix qu l'on pourra amener Ennahdha à se fondre dans le moule tunisien. A défaut de l'éliminer, la vieille nation tunisienne finira, pour paraphraser le général de Gaulle, par «absorber l'islamisme, comme le buvard absorbe l'encre» ...comme elle avait assimilé tout au long de son histoire les grandes idées et les dynasties étrangères qui se sont succédé sur son territoire.

 

 

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16 Commentaires
Les Commentaires
Jean Pierre Ryf - 06-02-2014 16:59

On doit loure ceux qui par raison évolue. Il n' y a , dit on ,que les imbéciles qui ne changent pas d'avis mais quand on connaît le personnage, sa duplicité, sa fausseté et ses arrières pensées (celles qu'il nous donnait dans la vidéo )on peut être sûr que ce n'est qu’hypocrisie et stratégie politique de bas niveau. Je renvoie a un lien qui met les points sur les i après toutes ces déclarations de ganouchi. http://latroisiemerepubliquetunisienne.blogspot.fr/2014/02/on-ne-la-fait-pas-aux-tunisiens.html

amira - 06-02-2014 21:19

nouveaux habits, nouveau dentier

citoyen - 06-02-2014 21:27

De loin il sent la traîtrise ,de près il n'y a pas un seul doute .S'il se çroit roublard ,c'est son affaire ,mais pas avec nous

tousi - 07-02-2014 00:56

Vous croyez vous qu'un homme qui a consacré sa vie à une idéologie celle des frères musulmans va à son age changer d 'horizon;sous la pression des évenements (Sissi,assad qui tient soutenu par la russie et l Iran;le rapprochement de la Turquie et de L 'Iran)cette redistribution des cartes ajouté à la pression de la société civile aux pressions amicales des pays Occidentaux;il s 'est adapté il plie mais ne rompt pas;en attendant les élections qu'il espère gagner;ce qui est loin d 'etre acquis.que fera t' il en cas d'echec? 'l 'incertitude pèse encore.as t il abandonné son reve chimérique de régime théocratique?et de Califat?Bien sur que non

douss - 08-02-2014 00:41

Que l histoire retienne le bilan désastreux de ce monsieur. Que dieu l aide à reconnaitre sa vrai valeur, et à retrouver un peu plus d humilité.

séjir chebil - 09-02-2014 18:22

Si el Hédi fais attention au cheikh, malgré ses habits neufs, dentier en sus, il te reservera, moi compris, des surprises. retors comme il est, les tours dans son sac, sont loin d'etre épuisés, je pense que c'est un repli tactique, pour se donner un répit, et preparer les élections, alors plus que jamais, nous autres de la société civile, soyons vigilants, et tenons la dragée haute à ces usurpateurs...pour sauver le pays, et notre modéle de société avec.

james-tk - 10-02-2014 01:32

Personnellement,grâce à cet énergumène,j'ai découvert,que je suis bel et bien intolérant,c'est mon sentiment et je le partage!Mon philosophe préféré Coluche disait: <<..., et j'en suis très content>> ! Vu ce que ce personnage représente comme danger,pour notre chère Tunisie,nos voisins,et,l'humanité toute entière!

Saïda DOUKI DEDIEU - 11-02-2014 14:40

Article très pertinent. RG n'a aucune crédibilité et continue à sous-estimer les tunisiens et il a tort. Car, effectivement, comme le conclut l'auteur, la Tunisie a TOUJOURS absorbé et digéré tous ceux qui prétendaient l'effacer.

fathi - 13-02-2014 13:46

Habits neufs? Ce M n'est jamais neuf,c'est just e l'hypocrisie.

Rachid Barnat - 13-02-2014 15:57

Un peu de décence messieurs de l'ex-troïka ! http://latroisiemerepubliquetunisienne.blogspot.fr/2014/02/quand-les-chefs-de-lex-troika-se-parent.html

Mehdi - 14-02-2014 15:26

En lisant l'article.. je me suis dit..bon encore un qui nous ressert du rechauffé... mais bon chacun son avis... c'est comme ca la vie.. mais quand meme, la où je me suis le plus marrer, c'est en lisant vos commentaires.. mesdames & messieurs les sciences infuses, les perfections de l'humanité ........ A.B.E.

psyko kwaak - 15-02-2014 16:00

ya Mehdi ton psy a du pain sur la planche, tu es complexé ou quoi? en quoi les commentaires te derangent. Et puis tes jugements de valeur qui es tu pour les porter, ça se voit que tu souffres, fais-toi connaître, on a les analhttp://www.leaders.com.tn/back/articlegesiques, pour te calmer

BELVAUX Lucien - 17-02-2014 08:34

J'espère que les Tunisiens et les politiques de l'opposition, ne vont pas une nouvelle fois se laisser abuser par ce Ghannouchi en habit et col cravate. Il change de parure comme il pratique le double langage et le triple comportement.Ghannouchi est un fourbe et il le restera. C'est un ennemi de la Démocratie. Gardez-vous bien de ce qu'il vous a fait et de ses menaces. Ne n'est pas l'habit qui fait le moine comme ce nest pas le niqab qui fait nécessairement la femme pieuse.

myriam - 17-02-2014 09:46

Excellent article, bien écrit, tant sur la forme que sur le fond.

verbatim - 17-02-2014 22:52

Belle conclusion s'il behi! Oui, Ennahdha doit etre considéré et doit aussi se comporter comme un parti parmis d'autres partis, surtout ne plus devoyer la religion au service du politique!

farid ammar - 25-02-2014 16:12

Aucun remède malheureusement!..ce n'est pas en changeant d'habit qu'il va changer ses idées arriérées...

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