Blogs - 23.12.2013

Le syndrome de la patate chaude

Les tractations sur le choix du nouveau chef de gouvernement ont finalement abouti à un accord, bancal sans doute parce qu'il n'y avait pas eu de consensus comme on l'espérait, mais c'était  la pire des solutions à l'exception de toutes les autres. Car Rome n’est plus dans Rome. Il y avait péril en la demeure et chaque jour que Dieu faisait nous apportait son lot de mauvaises nouvelles. 

Imperturbable, Ennahdha s'est, pendant des mois, réfugiée dans le déni de la réalité et  la paranoïa. Pas un mot d'autocritique sur sa gestion calamiteuse, pas une virgule sur les occasions manquées. L’enfer, c’est les autres: les fouloul, la contre-révolution, l’Etat profond, les médias de la honte. C'est tout juste si elle n'a pas oublié les moulins à vent. Elle a usé et abusé de la politique du bord du gouffre avec l’habileté d’un John Foster Dulles(*). En deux ans, on était passé de l'islamisation rampante à l'islamisation à grande vitesse. C'est la vieille recette éprouvée du fait accompli pratiquée sous d'autres cieux  avec le succès que l'on sait. 

Mais tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Le parti islamiste, hier sûr de lui et dominateur, est désor- mais en proie au doute à force d'accumuler les maladresses et les erreurs d'appréciation. Il a perdu l’initiative. Il ne contrôle plus ses troupes ni, a fortiori, ses alliés, le CPR bien sûr mais aussi et c'est nouveau, Ettakattol qui veut se refaire une virginité politique en quittant la troika. Acculé dans ses derniers retranchements, Rached Ghannouchi a dû faire le voyage à Paris - qui a pris l’allure d’un  voyage à Canossa-  pour rencontrer Béji Caïd Essebsi, celui-là même qu'il vouait aux gémonies. Après les deux  assassinats politiques, la montée de Nidaa Tounès dans les sondages, la chute de Mohamed Morsi, en Egypte, les difficultés d'Erdogan en Turquie et  les pressions croissantes de nos partenaires étrangers, Ennahdha a dû se  résoudre à composer avec l'opposition. Du coup, ce qui relevait de la politique-fiction, est devenu réalité. Le parti islamiste a finalement accepté de quitter le pouvoir. RIen ne vaut une cure d'opposition pour se refaire une santé.

Mais rien n'est encore joué. Si on a dû attendre  deux ou trois mois pour parvenir à un accord sur le nom du choix du chef du gouvernement, combien en faudra t-il pour constituer la nouvelle équipe gouvernementale. Déjà des petites phrases entendues ici et là donnent à penser que ce ne sera pas facile. Il faut une bonne dose de naïveté pour croire que les ministres d'Ennahdha et ses alliés vont quitter le pouvoir le coeur léger, après avoir pris goût aux honneurs et aux plateaux de télévision. Houcine Jaziri, le secrétaire d'Etat à l'émigration a sans doute résumé le sentiment de ses collègues :"le pouvoir, c'est comme la nuit de noces, on voudrait que ça se répète tous les jours et pour la vie".Pour leur remonter le moral, Ghannouchi a dû rappeler à plusieurs reprises qu'Ennahdha entendait rester au pouvoir. Et de rappeler à ceux qui l'auraient oublié que le mouvement disposait d'une majorité disciplinée et supermotivée à l'assemblée. Elle est prête à mener la vie dure au nouveau gouvernement au cas où il l'oublierait.  

Reste la question essentielle: Paul Valéry, le poète-diplomate français, disait que les accords les plus solides  sont ceux conclus entre les arrière-pensées. Si Ghannouchi a bien signé la feuille de route, comment savoir  si sa décision était sincère ou non? Comment interpréter cette série de décisions impopulaires prises dans la précipitation ces dernières semaines? Ne cherche-t-on pas à refiler la patate chaude au nouveau gouvernement? On peut tout dire des dirigeants sauf qu'ils sont naïfs. Ce sont d'excellents manoeuvriers comme ils l'ont démontré lors des discussions sur le nom du prochain chef de gouvernement. Les Mestiri et autres Filali (ce dernier s'en est aperçu très vite), n'étaient que des leurres. Leur objectif majeur était de barrer la route aux candidats proches de l'opposition et surtout de Nidaa Tounès.Ils y ont  pleinement réussi.

L'opposition ne doit pas oublier que la finalité de sa démarche, c'est l'organisation d'élections libres et transparentes. Ce gouvernement ne sera pas le leur. Il sera composé de compétences apolitiques et neutres. Mais il y a fort à parier que l'opinion publique ne s'embarrassera pas de ces distinguos subtils. Le Front du Salut ne l'a t-il pas réclamé pendant des mois. Qu'il le veuille ou non,  Ils sera inévitablement comptables de son bilan. Un échec aurait des conséquences désastreuses sur l'opposition et installerait durablement Ennahdha au pouvoir. C'est dire que l'opposition a tort de crier victoire d'autant plus que ce gouvernement avancera sur un terrain mIné.

Hedi Béhi

(*) Secrétaire d’Etat (ministre des AE) américain sous Eisenhower dans les années 50. Il a lié son nom à la diplomatie du bord du gouffre pendant  la Guerre froide. Cette politique consiste à exercer le maximum de pression sur l’adversaire, en agitant  même la menace d'une guerre, pour obtenir les résultats les plus avantageux.

 

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6 Commentaires
Les Commentaires
sejir chebil - 23-12-2013 18:11

si el hedi comme d'hab, tu as visé en plein dans le mille, en confondant, "ces gens la", et en dévoilant leurs desseins sournois, mais aussi en leur reconnaissant, une agilité de contorsioniste s'agissant de louvoyer, de tergiverser, et puis de rebondir, en tirant le tapis sous les pieds d'une opposition, qui ne sait plus à quel saint se vouer.Mais comme tu dis en citant Paul Valery, les arrieres pensées de "ces gens la"ne laisse place à aucun doute quant à leur sincerité, bref, si ça continue comme ça, on en a encore pour un bon bout de temps, le pays tiendra t-il that is the question.Un bemol cependant,en croyant, pouvoir tromper tout le monde, tout le temps, ils finiront par se tromper de porte, menant vers le Paradis, meme, si le chemin emprunté est pavé de... bonnes intentions

verba - 23-12-2013 20:46

ah la photo! La photo!! Es-ce un hasard? La tête des personnes sur la photo est illustrative du pays. Quelle déprime! Quelle méfiance! La joie de vivre appartient à une époque bien révolue.

ally - 23-12-2013 22:33

Défoulez vous Monsieur sur Ennahda, comme d'habitude, ça serait peut être votre dernière fois. Ce qui m'inquiète chez vous ce n'est pas la critique d'Ennahda car j'en ai rien à foutre mais de l'islam. et là vous rejoignez les islamophobes et les laico-chrétiens (qui n'évoquent la laïcité que lorsqu'ils veulent protéger le christianisme).Sachez; monsieur que personne n'a évoqué jusqu'à maintenant l'entrée du christianisme (CDU de Merkel ou les démocrates chrétiens de Christine boutin) et l'entrée du judaïsme (le parti de Mr Liberman), en politique .Nous; comme des perroquets de nos maîtres (heureusement qu'ils sont là ; au moins on sait où on va !) on parle d islamiste (qu'ils avaient crée,initialement, pour nommer les terroristes musulmans et surtout amalgamer avec L'Islam) et maintenant c'est bien généralisé puisqu'ils savent que nos intellectuels leurs manquent le neurone qu'il fallait). D'ailleurs ; votre article s'apparente à plus de la fiction et de la prédiction qu'à une analyse réelle et scientifique (au sens matérialiste). Et ça c'est le problème de tous nos journalistes et nos intellectuels car ils parlent avec leurs passions. Et quand on parle avec la passion (ici détruire Ennahda et malheureusement, peut être vous ne le vouliez pas, l'islam car il y a d'autres qui nous ont tendu un piège pour ça).Après tout ; moi ça ne m'inquiète pas tout ça si cette liberté d'expression continue chez nous et ne sera pas étouffée comme aux temps de Bourguiba et de DE ZABA ; on finira par trouver ce qu'il faut à notre peuple comme modèle de société. Car ; il faut reconnaître que jusqu'à maintenant ce n'est pas le peuple qui s'exprime c'est plutôt son intelligentsia. Tant mieux pour moi la dictature de l'intelligentsia est certainement beaucoup mieux que la dictature du prolétariat que j'ai connue, étant étudiant, et que je déteste maintenant adulte car je pense qu'elle nous a écarté et devié de notre demande légitime qui aurait été la liberté d'expression puisqu'on a utilisé un modèle (le marxisme léninisme) qui ne respectait pas ces principes humains (la liberté d'expression et le respect des droits de l'homme).

ally - 23-12-2013 22:43

En complément à mon commentaire (je pense que Leaders ne va pas me priver de sa publication) ; avant de voir le commentaire de verba ; j'ai eu la même réaction que lui quant à la photo. On dirait une bande de tout ce que vous voulez sauf de politiciens (?). Moi ; j'ai toujours confiance puisqu'en ce moment avec la caractéristique qu'à pris notre monde, la physionomie de nos vrais dirigeants est beaucoup mieux que dans la photo.

dr.zaiane - 24-12-2013 01:26

A peine un candidat est nommé comme chef de gouvernement et voilà déjà les menaces subtiles qui se déclarent par ci,par là,pour lui faire comprendre qu#Ennahdha ,au fond,ne pense pas du tout à se retirer du pouvoir ,puisque certains de ses ministres "ne quitteraient pas leurs postes". Donc,Ennahdha" fléchit,mais ne rompt pas",alors le tout n'a été que comédie ou tactique pour éviter la confrontation directe et gagner du temps.Conclusion:Ennahdha est restée fidèle à elle-même.Elle ne cédera pas le pouvoir!

james-tk - 24-12-2013 11:06

"Un accord bancal",c'est exactement ce que j'avais pensé moi-même de cette comédie,joué par de véritables roublards,ignares et incompétents? Cela n'augure rien de bon,et,Des jours difficiles attendent encore le pauvre peuple désabusé!

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