News - 10.10.2013

Pour lutter contre l'oubli: Un devoir de mémoire

«Jamais je ne quitterai pas le champ de bataille tant que j’aurai des munitions» Tels sont les derniers mots prononcés par le Sergent-chef Ahmed REGAYG, né le 20 avril 1936 à Msaken et mort pour la patrie en juillet 1961 à Bizerte. Notre héros national a refusé d'abandonner le combat face aux intenses bombardements de l’aviation de l’ennemi. Pour notre icône locale – mais aussi désormais nationale- la mort plutôt que l’abdication devant la force brutale de la puissance coloniale.  Entre la mort et l’écrasement, entre la dignité et l’humiliation, entre l’orgueil et la soumission,  notre martyr a choisi la mort dans la dignité par amour de la Tunisie. Il est mort pour que nous vivions dignement. Il n’était pas le seul. Comme d'autres, il s’est sacrifié comme d’autres par patriotisme à l’âge de 25 ans ; à la fleur de l’âge, sans laisser ni femme, ni enfant.

Il n’est pas inutile de rappeler les circonstances politiques et les faits historiques qui ont donné lieu à une telle tragédie et à un tel traumatisme national

Dans les accords d'indépendance de la Tunisie de 1956, Bizerte devait rester française pour un temps indéfini. Il faut se souvenir que la France avait intérêt à garder sa présence à Bizerte, d'où partaient ses avions militaires pour l'Algérie. Bourguiba était poussé par l'opinion publique arabe, à leur tête le leader nationaliste Jamel Abdel Nasser (né 15 janvier 1918 et mort le 28 septembre 1970). Les frères algériens l'accusaient d'héberger les bases militaires françaises tandis que la Ligue arabe le considérait comme un traître et les frères musulmans le taxaient de mécréant. Pour une part de l'opinion publique tunisienne, il était le valet des Français.

Autre élément et non des moindres : Entre Bourguiba et De Gaulle, il y eut un problème d'égo. Ils se haïssaient. Le Général méprisait orgueilleusement Bourguiba. Et Bourguiba considérait le Général comme un homme vieillissant, ingrat, qui est rentré dans l’histoire grâce aux alliés et non pas par la force de son caractère, comme il aimait bien l’afficher.  Bref, pour notre combattant suprême, De Gaulle, en 1961, appartenait déjà à l’histoire et l’avenir des relations entre la Tunisie et la France devrait être pensé et conçu avec Pierre Mendes France.
Les événements de Bizerte ont permis à Bourguiba de passer dans le clan des héros de la nation arabe. Pour de Gaulle, c'était un coup d'amour propre. In fine, ce sont de braves gens et innocent citoyens qui ont payé de leur vie pour cette guerre d’égo.

Chronologie de la tragédie

En juillet 1961 Bourguiba engage une bataille politique pour l’évacuation de Bizerte. Des volontaires Tunisiens se massent aux abords de la base militaire française interrompant ainsi tout trafic entre ses divers composantes. La riposte française à un tel acte de défiance, est foudroyante : appuyés par l’aviation et la marine, les parachutistes investissent la ville européenne et en profite pour élargir davantage le périmètre de l’occupation française. Résultat : plus  de 1000 morts, intervention du conseil de sécurité, et condamnation de la France à l’ONU. Un traumatisme pour la population et les familles des martyrs qui sont restés sans nouvelles de leurs enfants pendant près de 3 mois.

En effet, le père de notre héros, Ahmed REGAYG, n’a su le décès de son fils qu’en octobre 1961, trois mois donc après sa disparition et ceci malgré son insistance et les multiples va-et-vient entre Msaken et Tunis. Sa mère a été foudroyée par la sclérose en plaques et morte quelques années plus tard. Elle a même refusé d’être indemnisée, considérant que son fils, «est mort pour la patrie et que c’était indigne de demander de l’argent. Rien ne pourrait remplacer Ahmed» disait-elle.
C’était mon oncle. Que Dieu Bénisse son âme.

Ezzeddine Ben Hamida
Professeur de sciences économiques et sociales
http://ezzeddinebenhamida.jimdo.com/

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